Vers un Pacte de responsabilité sociale, environnementale et fiscale

Conversion écologique de l’économie et « politique de l’offre » ne sont pas incompatibles

par Eric Loiselet (membre du Bureau Exécutif d’EELV) et Eric Alauzet (Député EELV du Doubs)

L’annonce par le Président de la République du lancement du « pacte de responsabilité » provoque un débat qui, de toute évidence, bouscule les lignes, secoue les clichés et débusque les confusions. Les écologistes ne sont pas en reste. Certains ont d’emblée rejeté le pacte et la démarche qu’ils assimilent à une nouvelle étape du cours austéritaire auquel ils réduisent la politique du gouvernement actuel, qui serait selon eux, un avatar lancé en Allemagne il y a plus de dix ans par Gerhard Schröder, ou de la politique économique « sociale libérale » menée par Tony Blair là encore il y a plus de dix ans. Poursuivre les ombres de combats anciens à travers leurs prétendues résurgences contemporaines est assurément une forme de myopie stratégique. De même opposer « socialisme de l’offre » et « keynésianisme écologique », au-delà du brio de la formule ne revient il pas à entretenir une confusion des concepts qui empêche d’appréhender l’esprit (la lettre reste à écrire et même à co écrire) de la démarche et d’y pousser plusieurs des propositions des écologistes en matière de conversion de l’économie ? Après tout rechercher une cohérence accrue entre la transition énergétique, la réforme fiscale et la résorption de l’évasion fiscale, le changement de modèle économique, le pacte de responsabilité, et même la réforme territoriale ne serait il pas une bataille à la fois plus réformiste et plus radicale à mener que celle consistant à rejeter a priori un projet, qui, de surcroît affiche l’exigence de contreparties entre acteurs économiques, sociaux et publics ?

Keynes et politique de l’offre

Keynes a été érigée ces derniers jours en vestale de la politique de la demande. Certes, le combat des idées, lorsqu’il descend dans l’arène politique, convoque simplifications et caricatures nécessaires pour opposer le blanc et le noir, le bien et le mal… mais simplifications et caricatures peuvent conduire leurs auteurs eux-mêmes à passer à côté d’une appréciation plus « stratégique » des opportunités offertes par une nouvelle situation.

A y regarder de plus près Keynes lui-même aurait récusé ce rôle de gourou de la politique de la demande qui lui est prêté par ceux qui, à toute force, cherchent à assimiler le « pacte de responsabilité » à une politique néo-classique ou néo-libérale d’offre. Politique d’offre à laquelle ils opposent une politique de la demande prétendument keynésienne.

En fait, Keynes proposait une « politique d’offre » initiée par l’Etat visant à résorber le chômage. Il ne proposait pas de « politique de la demande » qui consisterait à augmenter les salaires (revenus directs) ou les prestations sociales (revenus indirects) des ménages sans se préoccuper d’accroître la production, ou l’activité. Cette « politique de la demande » entraînerait à court terme une inflation dont Keynes ne voulait pas.

Pour ce dernier, la production des marchandises précède forcément leur consommation c’est-à-dire leur demande. Cette production est conditionnée par la demande anticipée que Keynes appelle « demande effective », concept sur lequel nombre d’étudiants en macro économie continuent de s’échiner. Il renvoie au pari que les entreprises doivent faire pour vendre leur production : elles anticipent la demande à venir. Et s’il est vrai que plus les salaires seront élevés plus la demande anticipée le sera, il n’en demeure pas moins que la production offerte précède la demande qui se réalisera ultérieurement, ou pas.

Pour résorber le chômage, objectif poursuivi par Keynes, il faut créer les conditions pour embaucher, donc de fabriquer plus de produits. L’offre spontanée des entreprises étant insuffisante, Keynes appelle l’Etat à produire lui-même des biens d’investissement ou à inciter les entreprises à en produire plus. Cette offre supplémentaire de biens génère des revenus qui permettront ensuite d’augmenter la demande de biens de consommation. L’offre précède la demande. Ce que Keynes préconise n’est pas une « politique de la demande » mais à plus à voir avec une « politique de l’offre ». Si Kéneysianisme écologique il doit y avoir, alors celui-ci aura plus à avoir avec un écologisme de l’offre qu’un écologisme de la demande.

De plus, le keynésianisme de la demande tel qu’il est simplifié à l’extrême à des fins propagandistes, peut se traduire par des conséquences moins favorables que certains veulent bien le dire. De façon certes un peu schématique, les politiques économiques menée en France ces 10 dernières années, que ce soit par les gouvernements Jospin, Raffarin ou Villepin ont favorisé la demande, et notamment la consommation des ménages (Prime pour l’Emploi, baisse de l’impôt sur le revenu etc.), devenu le principal voire le seul moteur de la croissance « douce » (selon l’expression de l’INSEE, c’est vrai que c’est moins connoté que « molle »). On peut y ajouter le plan de relance des investissements publics et de grands travaux de Sarkozy après la crise de 2008 qui s’inscrivent dans la logique de la demande. Non seulement l’effet sur l’activité a été éphémère, mais tout cela a été financé par la dette qui a plus que doublé en dix ans. Autrement dit, la relance par la demande, loin d’améliorer la situation l’a aggravé. Avec l’aggravation des déficits commerciaux puisque cette relance a bénéficié en priorité aux produits d’importation. Gardons nous d’idéaliser la relance par la demande.

Ecologie et politique de l’offre

Les politiques de l’offre sont souvent présentées de façon un peu réductrice comme consistant à alléger les charges pesant sur les entreprises. La vraie question est celle de l’usage que font les entreprises avec ces nouvelles marges de manœuvre. S’il s’agit d’alimenter les dividendes et les bonus de toute sorte, la politique de l’offre est éminemment condamnable. Si au contraire, l’objectif est de favoriser l’innovation et l’investissement, l’offre est non seulement utile – surtout si elle concourt à la transition écologique mais aussi créatrice d’emploi, certes avec un décalage dans le temps.

Pour les écologistes la priorité absolue est de changer de modèle pour préserver les équilibres écologiques et sociaux. Ce changement passe par la transition écologique. Celle-ci est un formidable appel à l’innovation afin d’assurer la conversion de l’économie.

Dans la confrontation entre la droite et la gauche, entre d’un côté intervention et régulation, et de l’autre marché libre et concurrence généralisée, les écologistes se situent clairement à gauche. Mais ils ne s’arrêtent pas là : ils interpellent cette dernière en profondeur en posant la question de la finalité et de la possibilité de la « croissance ». Ils appellent la gauche à se transformer, à sortir du productivisme, à inventer ce que Cécile Duflot appelait dans ses vœux à la presse la « sociale écologie ».

Disons le tout net : la politique économique volontariste que les écologistes proposent est une politique de l’offre, dont l’objectif est de transformer en profondeur les modes de production et de consommation.

Une « relance par la demande » pourrait conduire à des conséquences dommageables : surconsommation, inflation, accentuation si c’est encore possible du gaspillage des ressources naturelles et de l’épuisement des écosystèmes et de leur capacité à se régénérer.

En ce sens, les écologistes ne proposent pas de « politique de la demande ». A contrario, la politique de l’offre qu’ils proposent est une politique de transition écologique.

D’ailleurs, une politique de l’offre qui ne serait pas une politique de conversion écologique de l’économie produirait, si elle en obtient, de mauvais résultats.

Ce qui renvoie au sens général des choix politiques à opérer aujourd’hui.

La conversion écologique de secteurs stratégiques de l’économie : une « politique de l’offre écologique »

Dans le chapitre « Vers l’écologie industrielle, pour l’industrie écologique » le projet « Vivre mieux, vers la société écologique » l’énonce sans fard :

« La ré-industrialisation de nos territoires est une nécessité pour lutter à la fois contre le changement climatique, la mise en concurrence internationale de salariés aux conditions de vie très différentes et le dumping social et environnemental pratiqué par certains pays. [ …] L’industrie du XXIe siècle sera celle d’un éco-développement, elle dépassera le verdissement à la marge (ou greenwashing) des anciennes industries. Elle aura comme objectifs absolus d’éviter les gaspillages, de limiter la consommation d’énergie et les émissions de carbone, de diminuer le prélèvement des ressources et l’impact environnemental des productions, d’assurer une vraie qualité de vie au travail.

La relocalisation va de pair avec une économie dite de la “fonctionnalité”, qui valorise autant l’usage d’un bien que sa possession et incite au partage, à l’invention de nouveaux rapports sociaux de coopération. »

Le même projet identifie les « grands secteurs stratégiques de la reconversion » : l’énergie, le bâtiment, la chimie verte et le recyclage, le ferroviaire le fluvial et le naval.

Et, concernant les PME, le projet « Vivre mieux » propose un pacte en ces termes : « La transformation écologique de l’économie et l’innovation peuvent être fortement mobilisatrices pour beaucoup d’entrepreneurs, à condition de mettre en place un “pacte pour les entreprises locales”, de développer le tissu de PME/TPE et artisanal et les entreprises qui défendent les métiers régionaux.

A condition aussi de réduire les situations de rente, de rétablir les conditions d’une concurrence minimale dans des secteurs où certaines multinationales occupent de fait des positions de monopoles ou d’oligopoles. »

Nous avons adopté ce projet à la quasi unanimité il y a deux ans, en décembre 2011. Nous en avons adopté les mots, mais nous en sommes nous, toutes et tous, approprié le sens ? Ce n’est pas certain. De toute évidence ce projet propose un politique de l’offre écologique. Que des élus écologistes, dans les territoires où ils sont en situation, mettent en œuvre et que nos parlementaires européens promeuvent chaque fois qu’il est possible.

Cette politique peut, dès lors, pour les PME/TPE, mais pas seulement, s’inscrire dans la dynamique d’un « pacte » dont le contenu comporte des contreparties négociées, et in fine fixées par la loi, entre chefs d’entreprises, syndicats et les salariés.. Des contreparties en terme d’activité, d’emploi, mais aussi, pourquoi pas, en termes de priorités pour avancer vers la transition écologique.

Vers un Pacte de responsabilité sociale, environnementale et fiscale ?

Le pacte de responsabilité proposé par le Président de la République reste à écrire. Ne nous trompons pas : si la question du changement du financement de la politique familiale a été évoquée, elle n’est pas le cœur du pacte de responsabilité. Celui-ci renvoie à l’urgence d’une intervention publique pour réduire le chômage. Dès lors que l’Etat n’est pas lui-même producteur, cette régulation ne se fera pas seule et passera nécessairement par un compromis social avec les chefs d’entreprises, les syndicats et les salariés.

Mais puisqu’il s’agit de responsabilité, comment ne pas préciser qu’elle ne pourra pas ne pas être sociale et environnementale.

Le pacte pourrait ainsi encourager les entreprises qui ont entrepris une véritable démarche RSE, qui innovent, investissent dans des secteurs d’avenir et conduisent une politique de ressources humaines responsable. L’investissement est d’ailleurs l’un des trois grands types de contreparties évoquées par le Président de la République. La conversion écologique de secteurs entiers de l’économie prendra du temps, et nécessitera des investissements, auxquels le pacte de responsabilité devra faire toute leur place. Ces investissements pour la transition écologique pourront alors être pleinement soutenus par les dispositifs publics du type « investissements d’avenir », financements de la BPI, émissions d’obligation vertes (publiques comme privées).

Le pacte n’est pas « hors sol », il peut être connecté au chantier de la réforme fiscale et de sa composante fiscalité écologique, à celui de la loi sur la transition énergétique comme à celui de la réforme territoriale qui vient d’être relancé et devrait préciser le rôle des collectivités en matière de développement économique local de décentralisation énergétique et d’encouragement à la sobriété énergétique. Sans compter la poursuite de la régulation de la finance et la lutte contre l’évasion fiscale dont les recettes pourront contribuer.

Avec la conférence économique et sociale annoncée pour le printemps, et le vote de confiance prévu fin s’annonce comme un temps majeur d’inflexion de la politique menée par ce gouvernement et sa majorité.

A nous de faire en sorte qu’il s’agisse d’une inflexion vers la transition écologique.

Des secteurs économiques et des acteurs sociaux sont prêts à s’y engager, notre rôle est de leur proposer le débouché politique que nous pouvons porter.

Comme les colibris de la fable, nous prendrions ainsi notre part à la réussite de la gauche et à l’avancée dans la transition écologique, au service de toutes les françaises et de tous les français.

En nous tenant à distance des rejets pavloviens, des incantations à la rupture, comme de la « doxa libérale » dans laquelle l’écologie n’est pas soluble.

Nous avons le choix : rester sur le banc de touche et condamner a priori, ou prendre part, sans naïveté parce que les rapports de force restent à construire, à la démarche pour contribuer à ce que ce pacte de responsabilité soit un pas vers la conversion écologique de l’économie.

Il sera alors temps, le moment venu, de décider de voter ou non la confiance au pacte de responsabilité, au vu de ce qu’il contiendra.

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